Amnésie volontaire: qu’en penser ?

Article : Amnésie volontaire: qu’en penser ?
Crédit: Alain Brossard
16 août 2021

Amnésie volontaire: qu’en penser ?

Le propre de l’héritage, la transmission des valeurs, le sens de la charité sans oublier la richesse de la découverte : une jonction de deux pôles extrêmes qui s’opposent et que, pourtant, ma génération tente de relier.

"Ma famille, mon pays, ma culture. Entre fidélité à la tradition et désir d’émancipation, comment faites-vous ?" - un face à face avec le temps.
Crédit Photo: with_my_own_two_feet (Instagram)

Pourquoi ?

Je suis issue des générations qui ont vu se succéder les périodes de guerre.

Tu sais le sang, les pertes, les cris … tout ce vécu que l’on voudrait oublier. Ce genre de choses que l’on aimerait ne pas raconter, quitte même à enfouir, à jamais, les souvenirs des jours heureux qui auraient réussi à s’immiscer, en ce temps.

Cet instant où le dilemme entre rompre l’histoire ou la transmettre s’impose. Malheureusement, le choix a été vite fait, de plusieurs. L’impression, quelques jours, qu’il a été fait d’un commun accord. En effet, aux lendemains de cette vie, l’histoire a été rompue. L’héritage corrompu. Une partie de cette histoire a été enfouie, tel le Jardin d’Eden après l’expulsion d’Adam et Eve. Impossible d’en saisir les tenants ni les aboutissants.

Ce vide inavoué, comblé par des expressions et des réactions qui me semblaient insensées, par des craintes mal exposées, est ce qui a été transmis d’années en années aux fils et aux filles qui ont construit les générations suivantes.

C’est ainsi que nous avons grandi : avec ce bout d’histoire en moins, qu’il fallait pourtant porter et encaisser sans la moindre compréhension.

Comment expliquerez-vous à une enfant les concepts « Sud » et « Nord » qui s’opposent constamment ? Oseriez-vous lui dire pourquoi ces expressions sont aussi récurrentes ? Pourquoi elles suscitaient toujours des froncements de sourcil ou des réponses salaces, de la part de ceux qui se sentaient concerné ?

Voici l’impact de cette amnésie volontaire.

Mais surtout, voici le mur de silence auquel je faisais face hier et, malheureusement, aujourd’hui encore.

J’ai grandi avec des interdictions que je ne saurais expliquer, certes. Mais, j’ai surtout grandi avec beaucoup de vide. Ceci en me donnant l’impression constante que mon identité était incomplète ; qu’en chemin de vie, tôt ou tard, le rejet me rencontrera. Toute une vie construite dans le questionnement, les analyses et l’attente d’un moment inconnu.

J’ai grandi avec des rappels sur les noms que portaient mes ami.e.s et des quartiers que je devrais fréquenter ou pas. Dans ma ville, je vivais dans une zone et devait me considérer en balade surveillée dans une autre. Je devais veiller à l’ethnie et aux alliances de la personne avec qui je m’associais. Plus déchirant, parfois plus réalistes étaient les larmes et les témoignages heurtant qui s’installaient en l’âme de ceux qui s’y frottaient.

A la moindre question, c’était « chez nous, c’est ainsi ! », « c’est la tradition » dit-on ! Mais à bien y voir, à quel moment l’histoire est-elle devenue la tradition ? Pourquoi l’a-t-on laissé s’imposer ainsi ?

Ces questions devenues récurrentes au cœur de ma génération, nous a conduit au désir d’y répondre. Bien plus, de les surpasser. Parce que cette « tradition » en s’imposant est devenue l’objet de nos séparations, le moteur de nos craintes et de nos choix. Tout ce que je ne voulais pas, que nous ne voulions plus.

A mon tour face à un dilemme, j’ai dû choisir.

Je me suis rangée de ce côté de ma génération qui ne voulait pas subir l’emprise d’une tradition qui ne nous était pas racontée, d’une histoire que l’on ne voulait pas nous partager.

Avec elle, ensemble, j’ai décidé de répandre cet amour qui se voulait restrictif. Tous les jours, je creuse un peu plus fort pour saisir l’histoire et découvrir ses différentes emprises. Car mieux tu connais ton adversaire (disons-le ainsi), mieux tu sais quoi faire.

Il s’agit de découvrir les plaies non pansées que nos parents ont reçu en héritage, qu’inconsciemment voire aveuglement ils continuaient à nous transmettre en guise d’éducation.

Il s’agit de réorienter mon propre regard à une meilleure considération d’autrui ; au fait d’accepter l’invitation à plonger dans une culture voisine. Et d’une main tenue face aux parents voisins, de tenir le même discours de cohésion, de tolérance et d’amour.

C’est aussi de porter, avec mes ami.e.s, aux yeux de tous, le témoignage du temps où l’amour, le soutien, l’entraide, le dépassement de soi ont toujours été au service de la famille qu’ensemble nous avons constitué. Ce qui me rappelle les visages surpris de certains parents qui nous voyaient aux veillées d’un des nôtres, portant la même peine, agissant comme des natifs du milieu. La surprise dans leurs expressions quand ils découvraient qu’il n’en était rien de tel. Que ceci n’était que le fruit d’avoir été dans la même classe pendant des années et d’avoir créé des liens en dépit de ce qu’ils nous préconisaient comme attitude.

L’occasion de rappeler aux miens que je n’ai en rien perdu le sacré de nos traditions. C’est jusqu’en évoluant, j’ai découvert et j’ai compris. C’est ainsi que j’ai choisi.

J’ai saisi le cœur qui les animait ; j’ai, ici, choisi de le répandre au-delà de ce qui m’était imposée.

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